La Cour des Comptes a rendu public, le mercredi 20 septembre 2017, son rapport annuel sur le financement de la sécurité sociale [1].
Parmi les points mis en avant par la Cour figurent la persistance des déficits et la nécessité de réformer pour une meilleure maîtrise des dépenses liées à l’assurance maladie.
Les acteurs du secteur de la santé voient donc leur activité passée au crible à l’aune de la question de la réduction des déficits.
Au sein de l’écosystème de santé, les pharmaciens d’officine sont pointés du doigt par la Cour, celle-ci considérant que la profession participe du coût global élevé de la distribution de médicaments en France.
A ce titre, le rapport souligne notamment :
- Le maintien d’une forte rentabilité, en moyenne, du réseau officinal et […] la persistance de son surdimensionnement ;
- Le double monopole des pharmaciens, celui de la distribution des médicaments dans leurs officines et celui de la détention de ces dernières ;
- Un encadrement fort et protecteur des conditions d’installation et d’exercice ;
- Un réseau très excédentaire au regard de la réglementation, le rapport précisant que 8 communes sur 10 ayant au moins une pharmacie sur leur territoire seraient en situation de surdensité ;
- Des rémunérations élevées et peu transparentes, la Cour indiquant que les performances économiques des pharmacies d’officine se sont généralement améliorées au cours de la période récente et que le réseau officinal a dans son ensemble traversé sans difficulté significative la période récente en dépit de la baisse du marché du médicament remboursable.
Partant de ce constat pour le moins sévère à l’égard des pharmaciens d’officine, la Cour présente les recommandations suivantes (cette liste n’étant pas exhaustive) :
- Fonder la rémunération des pharmaciens sur l’acte de dispensation ;
- Inclure, dans la tarification des médicaments génériques, les avantages commerciaux accordés aux officines ;
- Rendre obligatoire la déclaration des remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers accordés par les entreprises aux officines ;
- Simplifier la réglementation relative à la vente en ligne de médicaments à prescription médicale facultative, afin d’en favoriser l’essor ;
- Substituer au monopole officinal un monopole du pharmacien.
Le dernier point [2] va sans doute faire couler beaucoup d’encre dans les semaines et mois à venir.
En effet, en des termes quelque peu obscurs, la Cour des Comptes préconise tout simplement d’ouvrir le capital des officines à des personnes autres que des pharmaciens diplômés.
Cette proposition permettrait, par exemple, d’ouvrir des officines intégrée à des grandes surfaces, possibilité réclamée de longue date par le secteur de la grande distribution, ou encore aux fonds d’investissement de pénétrer à grande échelle (et à visage découvert, contrairement aux pratiques actuelles de certains fonds [3]) le secteur des pharmacies d’officine.
Cette réforme constituerait un tournant majeur, car elle remettrait totalement en cause le positionnement actuel du droit français en la matière, qui consacre la règle de la propriété de l’officine par les pharmaciens.
Parmi les réactions déjà exprimées, la FSPF (Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France) a, dans un communiqué de presse daté du 20 septembre 2017, qualifié les préconisations de la Cour des Comptes de programme de destruction massive des officines et indiqué que leur mise en oeuvre :
- Menacerait l’accès aux soins de tous les français ;
- Remettrait en cause le modèle de la pharmacie française ;
- Signerait l’arrêt de mort des pharmaciens de proximité dont les Français apprécient la compétence et la disponibilité.
Le Président de la FSPF, Philippe GAERTNER, est revenu sur ce point via un éditorial publié dans le numéro 1293 du Magazine « Le pharmacien de France » [4], par lequel il dénonce l’absence de prise en compte par la Cour de la réalité des officines et de leurs patients, et se dit scandalisé par le contenu et les propositions du rapport.
L’USPO (Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine), dans un communiqué [5] en date du 21 septembre 2017, fait état d’un rapport médiocre et uniquement à charge.
L’Ordre National des pharmaciens a également réagi, le 22 septembre 2017 [6], en insistant sur le modèle et les principes fondateurs organisant la pharmacie française, lesquels garantissent l’accès au professionnel de santé et sa proximité, et créent une barrière à l’introduction de médicaments falsifiés sur le territoire français.
L’Ordre précise que des ajustements peuvent se justifier, mais que l’approche des questions de santé publique ne peut être limitée au seul volet comptable.
A la veille des discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce rapport pourrait être la source d’une nouvelle confrontation entre pouvoirs publics et professions réglementées de santé (les médecins libéraux sont également malmenés par la Cour).
En outre, et s’agissant de la proposition d’ouverture du capital des officines, cette préconisation ressortait déjà du rapport de la Commission pour la libération de la croissance française [7], présidée par Jacques ATTALI, et dont le rapporteur général adjoint était, à l’époque, un certain Emmanuel MACRON. L’idée n’est donc pas nouvelle, mais elle pourrait trouver aujourd’hui une résonance plus importante qu’il y a dix ans, à l’époque de la publication du rapport Attali.
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[1] Consulter le rapport de la Cour des Comptes[2] Recommandation n°50, p. 443 du rapport
[3] Communiqué UNPF/ADIP sur les fonds spéculatifs
[4] Editorial de Philippe GAERTNER
[5] Communiqué de l’USPO
[6] Communiqué de l’Ordre National des pharmaciens
[7] Décision 212, p.164-165 du rapport Attali, 2008